Depuis la rentrée, j’entends plusieurs histoires de parents dont les enfants pleurent car ils ne sont pas dans la « bonne » classe, car ils ont le « mauvais » professeur, car ils ne sont pas avec leurs amis. Cela ne se limite pas qu’à l’école. Dans les activités de groupe également la rentrée apporte son lot de déception. Une mère d’un petit louveteau a remué ciel et terre afin que son enfant ne soit pas avec tel autre enfant dans la même équipe. Non parce que l’autre l’aurait harcelé (ce qui en soit aurait pu expliquer une demande de changement), mais parce que son fils ne l’aime pas… L’autre est geignard, lourd, négatif… Personne ne le veut… « Si on ne le change pas, il va arrêter le scoutisme »! Un autre parent faisait pression pour que son enfant soit chef d’équipe et non second, car le chef en place n’aura aucune autorité, alors que le fils, lui, aurait une autorité naturelle…
J’ai parfois l’impression que la logique marchande s’est immiscée dans l’éducation des enfants avec pour devise « le client est roi » et nous ferons tout pour satisfaire le client…
C’est parce que des clients voulaient des fraises fraîches en janvier qu’on déménage la terre afin de satisfaire ce désir. Il y a cent ans, les gens n’étaient pas mieux! S’ils avaient pu avoir des fraises en janvier, ils l’auraient fait! Mais ils ne le pouvaient pas. Alors, les amateurs de fraises qui en voulaient en janvier vivaient avec le fait qu’ils n’en auraient qu’en juin… On en faisait son deuil! Le marché moderne nous a bien fait comprendre que « sky is the limit« . Il n’y a plus rien qui puisse freiner les demandes incessantes de produits, de voyages même si pour satisfaire la demande et les profits on épuise les ressources, les sols et qu’on crée un changement climatique qui fait des ravages. Le client est roi … Aucune contrainte, aucune frustration…
Mais rendons-nous service à notre enfant en accédant à son désir de ne pas être dans la classe ou l’équipe assignée? C’est avec la meilleure intention du monde que le parent prend son courage à deux mains et ira se « battre » s’il le faut afin que l’année de son enfant se passe comme il le désire. Au risque de mettre des tensions… Gardons ces combats pour les moments absolument indispensables, comme lorsqu’un enfant vit du harcèlement, ou une souffrance scolaire…
Je me souviens combien avec mes aînés j’ai été une maman qui voulait éviter les déceptions. Si je n’ai jamais demandé de changement de groupe, j’ai en revanche parfois fait l’impossible pour que mes « petits » ne soient pas déçus… Par exemple, mettre trois événements dans une journées où un seul aurait été suffisant! Ce stress supplémentaire que je nous ai mis à ces occasions n’a jamais été profitable… Je pense qu’il aurait été plus constructif que je sache accepter leurs déceptions… J’ai été amenée à changer mon approche.
En IEF, nous devons être doublement vigilants afin de ne pas faire de ce chemin un dôme de surprotection.
Je plains ceux qui s’occupent de la logistique. Pour changer un enfant de classe ou d’équipe, a-t-on envisagé ce que cela impliquait comme chamboulement? On change et on déséquilibre le nombre d’enfants par classe, par équipe? On change le gamin et on en retire un autre (qui n’a rien demandé) de l’autre classe/équipe pour le mettre à sa place? Et si plusieurs parents font de même? On comprend facilement qu’en dehors de raison majeure, les parents reçoivent une fin de non recevoir…
Mais il y a plus important que la logistique. Il y a l’enfant lui-même. Accéder à ses désirs, c’est l’infantiliser, c’est l’empêcher de grandir.
L’enfant anticipe l’avenir. Il se fait un cinéma, il imagine qu’il sera avec tel copain. Après avoir rêvé, il se confronte inévitablement avec la réalité qui diffère souvent de ce qu’il avait imaginé. N’est-ce pas notre lot humain à tous? Qui ne se fait jamais de film heureux en pensant à demain? Et qui échappe au recadrage nécessaire de la réalité. Dans chaque situation « normale » il y a du bon et du moins bon. Nous devons tous nous ajuster à cette réalité qui s’offre à vivre.
Dans les situations de déception, il convient de faire appel aux forces de notre enfant. L’enfant qui se retrouve seul dans un groupe, sans ses amis, doit savoir qu’il aura la chance de s’en faire d’autres durant l’année. Il ouvrira ainsi ses horizons. L’enfant qui se trouve dans l’équipe « pourrie » doit comprendre qu’il a sa part à fournir pour rendre son équipe « chouette »! Tout ne dépend pas uniquement des autres…
Et parfois, l’année est aussi pénible qu’on le redoutait, avec le professeur sévère. Là aussi il y a des forces à développer. Nous avons le devoir de faire comprendre que la vie de notre enfant n’est pas fichue malgré de mauvaises notes dans le cours redouté. C’est l’occasion d’apprendre comment réagir avec les personnes compliquées. Dans la vie, on en rencontre toujours…
Nous avons le devoir de mettre une atmosphère propice au bonheur pour nos enfants, mais jamais il n’a été dit que nous avions la mission d’éliminer tous les aspects négatifs de leur vie. Nous n’éduquons pas nos enfants comme pour une sortie à Disneyland. Leur enfance ne doit pas se résumer à un album photos de bonheur absolu en tout temps.
Ce n’est pas cela une enfance heureuse…
Une enfance heureuse c’est une enfance où l’on apprend à devenir autonome en vue de demain. Où l’on prend du temps pour l’enfant. Des moments simples… C’est le gâteau qui embaume la maison et que l’on dégustera ensemble, c’est le torrent dans lequel on se baigne une journée chaude d’été, c’est aussi tous ces petits et grands moments où l’enfant est triste et qu’il reçoit du réconfort. Car c’est aussi cela le bonheur: des bras tendres qui vous prennent et qui vous rassurent en vous disant, comme ma mère le faisait en ces occasions: « Demain est un autre jour… Tu verras cela autrement. » Ces moments précieux où l’amour et le soutien nous aident à grandir…